Ça y est, on a enfin un rythme de travail à peu près stable, et un peu d'argent commence à rentrer. Mais on ne va pas se mentir, c’est loin d’être facile tous les jours. C’est exactement le genre d’expérience qui nous fait apprécier la vie qu’on a en France. Alors on s’est dit qu’on allait partager notre semaine (un peu infernale) avec vous, avec un peu d’humour, parce que c’est à peu près le seul truc qui nous fait tenir en ce moment haha.
La journée commence à 6h45, dans un van parfois glacial. Sortir de sous la couette est un défi, surtout quand il faut enfiler des vêtements encore plus froids, et que le premier contact avec l’extérieur, c’est de l’herbe trempée et gelée. De quoi bien commencer la journée.
On rejoint la salle commune du camping pour tenter de se réchauffer un peu et préparer le petit-déjeuner. Une fois prêts, on file à l’usine. Tablier, charlotte sur la tête, et on jette un œil au panneau d’affichage pour voir le programme du jour. Le nombre de kiwis à emballer est indiqué, ce qui nous donne une vague idée de l’heure de fin (souvent entre 17h et 19h).
Vianney se positionne toujours au stacking, et moi je file au grading pour voir qui est là. En fonction, je sais si j’aurai une chance d’échapper à la journée complète face au mur ou pas. Mauvaise nouvelle ce matin : une fille du grading n’est pas venue, donc je suis coincée là pour la journée.
Me voilà tout au fond de l’usine, face à un mur, en tête à tête avec l’horloge. Il est 8h pile, la machine démarre. À partir de là, pas de discussions possibles, pas le droit de marcher, de lever la tête ou de s’arrêter. Les kiwis, eux, ne prennent jamais de pause.
Ma seule distraction : la radio. Le problème avec la radio, c’est qu’il n’y en a qu’une qui fonctionne à l'usine. Elle passe exclusivement du rock, les mêmes morceaux et les mêmes pubs en boucle. Résultat : cette expérience à l'usine nous a pourri tous les classiques rock pour les prochaines années. Ne me parlez plus de Queen, Bon Jovi ou ZZ Top.
Je lutte pour ne pas regarder l’heure toutes les cinq minutes. Heureusement, on a une pause toutes les deux heures. On essaye donc de prendre la journée deux heures par deux heures. Pendant ce temps, je me repasse ma vie des dizaines de fois dans ma tête, je passe par toutes les émotions possibles, et je me lance même des petits défis pour ne pas perdre la boule (comme compter jusqu’à 1000, ce qui m’occupe péniblement 30 minutes…).
Pause ! Parfois j’ai la chance de basculer au packing pour marcher un peu et discuter. Sinon, retour à mon mur et à l’horloge. À midi, j’ai déjà pensé à démissionner au moins cinq fois, mais je me ressaisis pendant la pause.
Vianney, lui, a un peu plus de mouvement au stacking, mais ce n’est pas non plus une partie de plaisir : chaque stackeur soulève entre 20 et 25 tonnes par jour. Résultat, il a mal partout.
Ce travail nous fait vraiment prendre conscience qu’on n’est pas si mal lotis avec nos boulots en France. On est bien contents d’avoir fait des études, qui nous permettent aujourd’hui de mieux gagner notre vie avec des métiers bien plus intéressants.
Il est 12h30, on en a déjà ras-le-bol et on se dit qu’on n’est même pas à la moitié de la journée. Encore six heures à tirer avec toujours la même radio... Une journée ici semble durer environ deux mois.
Enfin, 19h ! Fin de la journée. On est crevés et on rêve d’une longue douche chaude et de s'allonger… Mais ce n'est pas le luxe qui nous attend. L’eau chaude est payante au camping. Vianney opte toujours pour une douche froide, il préfère apparement... Ce n'est pas mon cas donc je m'offre cinq minutes d’eau chaude (quand ça fonctionne). Le temps est limité donc quand il faut se faire le shampoing c'est plutôt une course contre la montre plutôt qu'une douche relaxante.
Et puis, même avec de l’eau chaude, c’est pas la détente non plus. Ces derniers jours, des invités surprise ont décidé de squatter les douches des filles : des cafards. Un soir, j’étais dans la douche de droite, une autre fille dans celle de gauche. Je l’entends crier une première fois, je me dis qu’elle n’a plus d’eau chaude. Deuxième cri, je me dis qu’elle a vraiment plus d’eau chaude. Et là, deux gros cafards passent de sa douche à la mienne… et c’est moi qui crie.
C’était un peu la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Je vais donc prévenir la gérante du camping. Elle me fait un cinéma digne d’un Oscar : « Oh mon dieu, c’est absolument dégoûtant ! Ça doit être à cause de l’hiver ! ». Très drôle sachant que des cafards, il y en a depuis notre arrivée, et qu’on l’a déjà vue essayer d’en écraser un avant de renoncer et de le laisser dans la chambre qu'elle a loué le soir même.
Sa solution ? Aller avec un spray à mouche (oui, à mouche), en tuer un (probablement en l’écrasant), le laisser là… et me filer le spray au cas où. Trois jours plus tard, le cadavre du cafard est toujours dans la douche.
Depuis, je me douche dans la douche mixte, plus éloignée, où il n’y a pas (encore) de cafards. Et le soir même, on tombe sur la gérante en train de râler parce qu’il y a trois brins d’herbe dans cette fameuse douche : « Mais comment les gens font pour mettre de l’herbe ici ?! C’est dégoûtant ! ». On lui explique que c’est sûrement à cause de la tonte récente et qu'il y a de l'herbe de partout. C'est surement nous parce que vu comme le camping est propre on garde nos claquettes dans la douche. Elle propose donc que son mari tonde deux fois le gazon : une fois avec la grosse tondeuse (qui met de l’herbe partout) et une fois avec la petite (pour ramasser l’herbe). Bref, logique implacable : l’herbe, c’est vraiment plus grave que les cafards dans les douches…
Une fois douchés, on enchaîne avec la préparation des repas du soir et du lendemain midi. Pendant ces quelques mois, on a la chance de partager la cuisine commune avec deux Malaisiens pour qui racler la gorge, roter et cracher est une habitude visiblement normale, même pendant que tout le monde cuisine et mange. Ambiance musicale garantie chaque soir.
21h. On est épuisés. Il est l’heure d’aller dormir… pour tout recommencer demain matin !
Alors, ça vous tente ?
Sinon, pendant nos jours de repos, on continue de vivre des expériences toujours plus originales.
Un soir où on a fini un peu plus tôt et qu’on avait le lendemain de repos, les locaux nous ont invités au raffle du club de pêche dont ils sont membres. Le club, c’est un peu comme un pub, avec un bar et une cuisine qui sert des snacks, le tout décoré sur le thème de la pêche. Il y a des photos et des représentations taille réelle des plus grosses prises des membres du club, c’est assez impressionnant.
Tous les jeudis soir, c’est soirée raffle : une tombola où tu peux gagner de la viande ou du poisson. Tu achètes des tickets à 2 dollars, et si ton numéro est tiré au sort, tu remportes un lot. Une vingtaine de lots ont été gagnés ce soir-là, mais pas par nous.
On a décidé de rester raisonnables : on n’a pas trop joué, et surtout on a mis nos tickets sur les lots où il y avait plusieurs petits morceaux, plutôt qu’un gros morceau de 3 kg, parce qu’à deux, dans un camping, on n’en aurait pas fait grand-chose. On y est allés surtout pour "l’expérience culturelle".
Et la partie la plus originale de la soirée, c’est le fameux “lancé de poulet”. À la fin, il y a un tirage spécial : si tu gagnes, tu as le droit de te lever et on te balance, littéralement, un poulet rôti emballé. Si tu l’attrapes, tu le gardes. Si tu le rates, il tombe par terre et on recommence avec la personne suivante. Au bout de deux ou trois lancers, le poulet ne ressemble plus à grand-chose. Le but, apparemment, c’est de le lancer bien fort.
Un de nos potes, très copain avec les locaux, a eu l’honneur d’être le lanceur pour sa dernière soirée. Et histoire de pimenter le tout… la deuxième personne tirée au sort pour attraper le poulet était une handicapée. Il a évidemment lancé tout doucement, par respect, mais quand même… il était très embarrassé de devoir jeter un poulet sur une personne handicapée. C’est un drôle de pays.